Amours

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Léonor de Récondo, 

publié chez Sabine Wespieser Editeur, 2015
(republié chez Points 2017).

 

« Une ode superbe à la féminité et aux ressources que l’on ne soupçonnerait pas en soi »
ELLE

1908, dans la commune de Saint-Ferreux-sur-Cher. Alors que sa femme Victoire dort paisiblement, Anselme de Boisvaillant, notaire, se rend dans la chambre de Céleste, sa bonne et abuse d’elle. C’est un scénario qui se répète assez régulièrement, sauf qu’un jour, Céleste tombe enceinte. Cette grossesse qui pourrait déshonorer la famille notable va finalement se transformer en un cadeau du ciel : puisque Victoire n’arrive pas à donner d’héritier à son mari, elle va demander tout simplement à Céleste de leur donner l’enfant.

Mais Victoire, qui est tout juste une femme, est loin d’être une mère. Aucun geste tendre, aucune affection, elle ne supporte pas les cris du nouveau-né et pour couvrir ceux-ci, la jeune femme se remet au piano. Voyant son petit dépérir, Céleste va entrer dans la chambre de sa maîtresse, alors que tout le monde dort, et s’en occuper toute la nuit durant. Entre les quatre murs de cette chambre froide, les corps vont s’enlacer et s’aimer…

Sans titre 7

Amours, est loin d’être un roman à l’eau de rose. Le cadre que nous dépeint Léonor de Récondo frappe, choque et accuse. L’auteur nous laisse voir l’hypocrisie et le mensonge qui caractérisaient la société bourgeoise du début du XXème siècle. Entre faux-semblants, non-dits et mauvais traitements, la bourgeoisie provinciale se montre sous un jour des plus aberrants. On assiste à une hiérarchisation des personnes en fonction de leur naissance, les bonnes ne sont qu’un corps, un objet permettant de réaliser toutes les tâches ingrates et avilissantes. Nous sommes loin du Moyen-Âge, et pourtant, Céleste n’est ni plus ni moins qu’une servante auprès des Boisvaillant. Pendant toute une partie du roman, la description de cette jeune fille qui n’a pas eu la chance de naître dans la bonne famille nous fait mal, nous poignarde droit dans le cœur. On a pitié d’elle, de ce qu’elle doit endurer, on hait ses « maîtres » pour la façon dont il la traite.

Et puis, le charme de Léonor de Récondo opère, et Victoire, qui avait tout d’une maîtresse de maison méprisable, niaise et surtout insupportable, est vue sous un autre jour. Touchée au plus profond de son âme par la trahison de son mari, elle va se révéler être une femme forte, capable de prendre des décisions (aussi mauvaises paraissent-elles), elle montre qu’elle est aussi un esprit, qu’elle ne suit pas forcément les décisions de son mari. Elle va prendre les choses en main, lorsqu’elle apprend la grossesse de Céleste et c’est elle qui trouvera une solution « miracle ».

Céleste et Victoire évoluent dans la même maison, sans jamais se regarder ni se voir réellement. Les hommes sont le seul lien qui les rassemble : Anselme au début, puis leur nouveau-né, Adrien. Et puis, une nuit, dans la tiédeur de la chambre sous les combles, le lit en fer de Céleste accueille l’étreinte des deux femmes… Ce même lit qui, 9 mois auparavant accueillait les assauts répétés d’Anselme sur le corps de Céleste, est témoin de la naissance d’un amour, d’une renaissance des corps…

Si j’ai eu du mal à me plonger totalement dans l’histoire lors des premières pages, mes a priori ont très vite été balayés par l’écriture musicale, poétique, simple et horriblement poignante de l’auteure. J’avais déjà été conquise par Point Cardinal, mais ce roman surpasse mes attentes. Les thèmes abordés sont encore une fois des thèmes que l’on trouve très peu dans la littérature. Ici, l’amour entre les deux femmes est raconté d’une manière si touchante et si juste que l’on oublie complètement qu’il pourrait y avoir une autre forme d’amour. La découverte du corps de l’autre, la découverte de son propre corps, dans une société où les femmes sont cadrées dès la naissance, élevées dans un but simple et précis : être une bonne épouse et une bonne mère (ou devenir la servante fidèle d’une maison bourgeoise).

Autre thème qui m’a particulièrement parlé dans ce roman, c’est la musique. Victoire joue du piano. Elle s’en sert comme échappatoire lorsqu’elle n’arrive pas à calmer son fils. Cet instrument va jouer un rôle central dans l’accomplissement de cette femme. Parallèlement, l’orgue de l’église va pousser Céleste à poursuivre son but, à se sacrifier pour le bien de celle qu’elle aime et « leur » enfant. La musique apaise les mœurs… La musicalité apaise les tensions, la musique comble les silences.

Je ne saurai que vous conseiller ce petit roman, qui se lit d’une traite en quelques heures. Ne vous laissez pas décourager par le thème qui peut paraître cliché, bateau, banal ; il n’en n’est rien. Amours surpassera toutes vos attentes. Et puis, Léonor de Récondo, c’est une auteure qu’on ne peut pas laisser passer, ne serait-ce que pour l’harmonie de ses phrases, la beauté et la justesse de ses mots. Amours, c’est une partition dont vous pourriez être les musiciens…

« J’aime et j’existe ! Toi, tu ne sais rien et, d’ailleurs, personne ne sait rien ! »

4 commentaires sur « Amours »

      1. Oui bien sûr !! Mais autant j’ai adoré la version grand format pour Point Cardinal, autant j’ai du mal avec les couleurs utilisées pour Amours chez Sabine Wespieser .. je préfère largement cette réedition !!!

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